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Chapitre 51-Le Mystère du Journal Matinal-06080051

Publié le par Serge Raoul - 🎸

Chapitre 51-Le Mystère du Journal Matinal-06080051

Le jour avait enfin fait son apparition, marquant ainsi la transition d'un automne effacé vers un hiver qui s'installait à peine. Ce matin là, dès que Georges ouvrit la porte d'entrée de son petit appartement, il fut confronté à un fait étrange qui alimentait à la fois son chagrin et son intrigue. Sur le paillasson en fibres de coco usé par le temps, posé en vrac, se trouvait La Dépêche, pliée comme si elle attendait patiemment d'être ramassé. Ce fait, en apparence banal, prenait pour le jeune homme une signification bien particulière. Dans le silence, seulement troublé par le bruit des appartements, il se penchait pour recueillir ce témoin de l'extérieur. C’était un lien fragile avec un monde qu'il avait peu à peu abandonné depuis la disparition de Jessica.
Il pensa à un cadeau publicitaire. « Un cadeau ? Pour moi ? Quelle surprise !
Mais pour ne pas faire d’erreur, il regarda l'étiquette. Il n’était pas le destinataire. Attends, ce n'est pas mon nom... Son cœur se serra. Évidemment, ce n'était pas pour moi. » Il l’apporta au propriétaire.
Le voisin, un personnage haut en couleur d’une cinquantaine d’années, semblait avoir adopté le pyjama comme uniforme de tous les jours. Imaginez un homme dont le sens de la mode s’était arrêté quelque part entre un dessin animé des années 1960 et une publicité pour des céréales rétro. Son négligé, un ensemble rayé rouge et blanc, aurait pu presque servir de tenue de camouflage dans une usine de cannes de Noël. Et pour couronner le tout, il arborait fièrement des chaussons en forme de lapins, dont les oreilles s’agitaient à chaque pas comme pour saluer.
« Bonjour, monsieur. Je crois que j’ai reçu votre journal par méprise, je suis désolé ! dit Georges.
Il songea : Désolé ? Pourquoi ? Ce n'est pas ma faute, après tout.
Il reprit à voix haute.
Je pensais que c'était un cadeau surprise. Vous savez, une sorte de promotion. Ah ! Si seulement c’était le cas ! Mais, non, c’est juste une erreur. Par contre, c’est assez bizarre de le recevoir de cette façon ? N’est-ce pas ? Une méprise qui m'a donné un instant de joie, au moins. J'aurais aimé que ce soit pour de vrai. En effet, c’est plutôt inhabituel.
Le voisin pensa :
— Quel grand nigaud, ce Roche ! Personne n’offre quelque chose.
Puis il reprit.
Mais, dites-moi, monsieur Roche, il y a un moment que je n’ai pas vu mademoiselle Alonso. Comment va-t-elle ?
— Elle a quitté notre monde terrestre, il y a quelque temps déjà, répondit gravement Georges d'une voix empreinte de tristesse contenue, ses yeux reflétant toute la douleur de sa perte.
— Oh ! Mon Dieu ! Ce n’est pas possible ! Vous m’apprenez une nouvelle terrible ! Le moment que vous vivez, doit-être horrible pour vous.
— Oui, c’est très difficile pour moi.
— Comment est-ce arrivé ?
Le jeune homme lui expliqua d’une façon évasive les circonstances de l’accident.
— Oh, je suis vraiment navré d’entendre cela. Je vous présente mes condoléances. Si vous avez besoin de parler ou de quoi que ce soit, n’hésitez pas à venir me voir. Vous pouvez conserver la Dépêche. En s’accrochant aux petites choses du jour comme les actualités, cela permet de penser à autre chose.
— Merci, c’est très aimable à vous. Ce ne sera pas la peine. Parfois, vous savez, un simple geste de gentillesse peut faire toute la différence. Bonne journée à vous. Et encore, désolé.
— Il n’y a pas de problème, prenez soin de vous, monsieur Roche. »
Les oreilles de lapin firent un demi-tour, dressées comme des pâles d’un moulin à la recherche du moindre souffle de vie dans une nature figée. Les deux se séparèrent sur ces mots, chacun retournant à sa routine, mais avec un sentiment renouvelé de connexion et de communauté.
Le lendemain, le même scénario se reproduisit. De nouveau, le quotidien se trouva devant sa porte. Ainsi que les deux jours qui suivirent. Il en déduisit que c'était un problème de facteur. Il passa à la Poste pour leur signaler le dysfonctionnement. L'employé interrogé ne vit aucune erreur d'adressage, mais s'excusa en promettant de mener une enquête auprès de l'agent qui couvrait le quartier. Mais cela ne suffit pas. Trois matins de suite, la presse était sur le gratte-pied. Le garçon ne comprenait pas la raison de ce phénomène, et se demandait si c'était une manifestation du paranormal. Le journal devenait alors bien plus qu'un simple condensé d'actualités : il représentait un lien ténu avec l'au-delà, une sorte de message codé que le jeune homme s'efforçait de décrypter avec une attention presque obsessionnelle. Convaincu que c'était le fantôme de sa fiancée qui lui envoyait ce message. Il ressentait à la fois un frisson d'émerveillement et une pointe de tristesse. Les pages froides entre ses doigts portaient l'empreinte d'une existence qu'il avait partagée, les plis et les taches d'encre semblaient murmurer des souvenirs effacés par le temps. Chaque mot, chaque image imprimée prenait une dimension toute neuve, un écho lointain de leurs rires complices et des projets avortés.
Mais les chaussons à tête de lapin ne l’entendaient pas de cette oreille. Le retard dans la distribution commençait à le chagriner. Il en fit la remarque à Georges.
« Eh bien ! Mon cher monsieur, je ne peux plus tolérer ce retard dans la réception de La Dépêche. C’est inadmissible ! Je veux un changement immédiat. Ces chaussons à tête de lapin ne me protègent pas de l’irritation, vous savez !
— Je comprends votre frustration, mais je n’en suis pas le responsable. Toutefois, je vais essayer de percer ce mystère. »
C’est de la sorte que le lendemain, il décida de se lever tôt pour trouver une réponse. Il se cacha dans l’ouverture de la porte d’entrée entrebâillée et attendit l’arrivée du facteur. Le jeune homme était déterminé à découvrir le pot aux roses. Il examinait le couloir avec attention. C’était une longue allée étroite peinte en jaune qui laissait entrevoir des traces du passé. Trois luminaires vacillants ajoutaient une ambiance triste à cet espace quelque peu négligé. Des murs alignés de chaque côté semblaient garder des histoires derrière leurs surfaces usées par le temps. Le sol, recouvert de carreaux défraîchis aux motifs désuets, témoignait de nombreux passages qui avaient marqué cet endroit. Une sensation de réveil dynamisait l'air, interrompue par les bruits des serrures ou les éclats lointains d'une conversation venant d'une pièce voisine. L'odeur envoûtante du café au lait flottait, mêlant ses arômes riches et réconfortants aux murmures ouatés. Au bout de quelques instants, le « tap, tap, tap » caractéristique de pas se fit entendre dans la galerie. C’était le facteur qui arrivait. Le cœur de Georges battait plus vite, mélange d'excitation et d'appréhension devant l'inconnu qui allait se révéler. L'homme à casquette passa sous les yeux du garçon tel un courant d'air pressé, laissant derrière lui une traînée de curiosité non satisfaite.
Le préposé posa consciencieusement les lettres dans les boîtes concernées et mit le quotidien au-dessus du bâti en bois. Puis il s’éloigna d’un pas nonchalant en sifflotant. Derrière l’affût de la porte, Georges songea :
« Est-ce enfin le moment où le voile se lèvera, où le fantôme se manifestera ? »
Immergés dans une attente fébrile, des bruits de pattes résonnèrent dans l'air frais. Note fugace d’une symphonie matinale, le murmure d’une routine qui se réveille, le poids léger d'un souffle d’existence. C’était un chat, une silhouette furtive traversant la moiteur endormie du corridor.
L’animal grimpa prestement sur les boîtes aux lettres. Le craquement soyeux, mais distinctif du bois vieilli sous les pas agiles, vint briser la tension palpable du moment. Ces sons, presque mélodieux dans leur régularité, semblaient doucement révéler la vérité derrière l’énigme qui le tourmentait. Alors la bête s’appropriait le journal avec aisance.  Il se laissa tomber et se précipita vers le paillasson de l'appartement, déposa ses affaires quotidiennes et s'enfuit à toute vitesse. Le jeune homme comprit avec une certaine lenteur que ce n'était pas un fantôme qui lui envoyait des signes. Ce n’était simplement qu’un matou mutin qui apportait une touche de réalisme à ses songes empreints de désir et d'espoir. Georges Roche se sentait soulagé que le mystère ait été résolu et que ses pensées ne soient pas hantées par des illusions surnaturelles. Cette révélation lui apporta un sourire et une légèreté, lui permettant de relativiser son désir de voir des signes surnaturels là où il n'y avait que l'ordinaire. Les jours suivants, le félin ne revint pas et La Dépêche ne lui fut plus distribuée.

Chapitre 51-Le Mystère du Journal Matinal-06080051
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