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Chapitre 29-Entre Espoir et Action-0608240029

Publié le par Serge Raoul - 🎸

   Voici venir la nuit des longs couteaux.
    Enfilez vos bas noirs, les gars.
    Ajustez bien vos accroche-bas.
    Vos porte-jarretelles et vos corsets.
    Allez venez ça va se corser.
    On va danser le.
    Ouais, on va danser le.
    Nazi rock, nazi, nazi rock, nazi.

 

Mathieu passa devant la boîte aux lettres, mais son regard s'attarda sur l'ouverture vide dépourvue de la moindre enveloppe.
— Trop tôt pour le courrier, se dit-il avec une pointe de déception. Il avait espéré un message, un signe, quelque chose qui briserait la monotonie de sa journée. Mais rien ne venait troubler le silence matinal, hormis le doux murmure du vent d’autan dans les feuilles des arbres. Il soupira, ajusta ses cheveux blonds et poursuivit sa route. Encore un matin sans aucun espoir fugace d'une connexion humaine. Il alla d’abord acheter des habits chez Hippolyte. Il acquit des pantalons à pattes d'éléphant, car il considérait que le moulant des jambes jusqu’aux genoux mettait en valeur le faible volume de ses cuisses. C’est ainsi qu’il arriva au bar Le Peyrou, rue des Salenques situé à cinq minutes de la basilique Saint-Sernin. Le jeune homme, en mode sportif, tenait le paquet d'habits dans la main. Il y était pile à l'heure pour le rendez-vous donné par Maxime Debs, le responsable local du Groupe Union Défense. La troupe se rassemblait régulièrement pour orchestrer la défense de la France contre l'envahisseur étranger. Le dirigeant, sac à dos sur l’épaule, traversait la place animée, sa démarche assurée  qui attirait les regards des passants.
Le chef du GUD se présentait comme un homme d'action, toujours prêt à défendre ses convictions nationalistes avec véhémence. Il arborait une allure imposante, le visage dur et les yeux perçants, reflétant une détermination sans faille. Sa voix résonnait avec autorité lorsqu'il exposait ses idées politiques, souvent teintées d'un patriotisme radical. Bien qu'il suscitât parfois l'admiration pour son engagement, son caractère inflexible et ses méthodes peu orthodoxes pouvaient aussi le rendre controversé auprès de certains. En somme, il était un personnage polarisant, à la fois honoré et redouté pour sa fermeté sans compromis. Derrière la façade d’un homme dur aux convictions affichées, Debs cachait un conflit intérieur profond. Son père juif était pour lui une source de honte inavouable, un secret qui le rongeait et nourrissait paradoxalement son antisémitisme virulent. Cette dualité créait en lui un dilemme constant : d'un côté, le besoin viscéral de prouver sa loyauté à la cause nationaliste en exagérant des actes radicaux ; de l'autre, la peur paralysante d'être découvert et rejeté par ses pairs. Cette tension interne motivait son comportement extrême, faisant de lui un leader charismatique, mais tourmenté, dont l'inflexibilité masquait une profonde insécurité identitaire.
Lorsqu'il rejoignit Mathieu, celui-ci était posé devant la porte en l’attendant. Ce dernier remarqua aussitôt son air heureux.
— Salut Maxime, ton visage rayonne de satisfaction.
— C’est exact.
— As-tu vécu une expérience agréable ?
— Oui, en effet, le Blond.
—  Qu'est-ce que tu as fait ce matin ? demanda le jeune homme en haussant un sourcil. Son interlocuteur répondit avec enthousiasme.
— Oh, tu ne devineras jamais ! Je suis allé visionner en matinée le film L'Héroïne du kung-fu.
— Comment était-ce ?
— C'était incroyable, vraiment palpitant !
Intrigué, son ami le regarda avec attention.
— Réellement ? Le titre semble sympathique.
— Il n’y a pas que le titre. L’action est intéressante.
— Je devrais peut-être aller le voir également. Cela parle de kung-fu, je suppose.
— Yes !
— Le kung-fu ! C'est le sport qui est un peu con et un peu fou, non ?
— Hé ! Mec, tu es très amusant. Mais tu sais que le kung-fu, ce n’est nippon ni mauvais.
— Exact, c’est un art martial chinois et pas japonais. Ils se mirent à rire.
— Patiente ici. Je vais acheter des tiges, fit Debs en fouillant dans son sac à dos. Cela ne me prendra qu’une minute. Par ailleurs, je te réserve une surprise.
Il traversa à nouveau la place et entra dans le bureau de tabac juste en face. Là, il échangea quelques mots avec le commerçant avant de ressortir, un paquet soigneusement enveloppé à la main. D'un pas assuré, il rejoignit le jeune homme qui patientait et lui tendit le colis. Le regard de celui-ci contrastait avec le sourire bienveillant de l’autre.
— Tiens, je t'ai acheté une cartouche de Boule d'Or ! Je crois que tu es un amateur.
Mathieu mit méticuleusement les cigarettes dans sa poche Hippolyte.
— Merci, c'est gentil, je ne m'y attendais pas du tout. C’est aimable de ta part.
Ce geste, empreint de confiance et de complicité, scellait leur alliance dans une cause commune. Puis, ils entrèrent dans le bar Le Peyrou, prêts à affronter les enjeux de la rencontre.
Un des deux salua le patron du lieu :
— Hey ! Gino ! Comment te portes-tu ?
— Bien, répondit Gino d’une manière joviale.
— Comment vont les affaires ?
— Les affaires sont un peu calmes, en ce moment.
— Tiens, prends mon paquet, je le récupérerai plus tard, intima Mathieu.
Derrière le barman trônait une immense affiche du film Easy Rider. Dans le lieu, il n'y avait pas foule. Au fond de la pièce, un jeune aux cheveux crasseux faisait gémir un flipper. Il avait une drôle de coiffure : une touffe capillaire de style mulet, impossible à coiffer.
Les deux protagonistes s'installèrent à une table. Gino leur apporta une bouteille d'absinthe.
— Tenez, buvez ceci, les amis, cela vous donnera du courage. Cuvée spéciale du patron. 
— Elle tombe bien, j’ai amené quelque chose à grignoter, fit Debs.
Il sortit de son sac à dos, un fromage Pont-l'Évêque. Il porta la bouteille à ses lèvres et avala une grande rasade. L'alcool lui brûla la gorge et lui monta à la tête. Tout en buvant, il commença à déguster l’aliment. Il adorait manger cette pâte souple aux arômes de crème et d’étable. Un véritable péché normand. Les dirigeants du Groupe Union Défense arrivèrent petit à petit. Il y avait là Joseph Bruno, un amateur de Lucky Strike et Maurice Loudet le chef des Rats Noirs. Il portait des moustaches et une veste à motifs Prince de Galles. Sous son bras, il portait une pile de tracts lassés ensemble. On pouvait y lire au-dessus d'un dessin de rongeur à museau pointu. « À Toulouse comme à Gaza, intifada. » La tension était palpable dans la salle, un black-out lourd s’était abattu sur l’assemblée, chacun se demandant qui allait prendre la parole en premier. Mathieu, le regard scrutant la troupe, osa briser le silence.
— Qui vient animer la réunion ? sollicita-t-il, la voix légèrement aiguë.
Debs répondit :
— Un Bordelais. C’est top secret.
C’est alors que Joseph Bruno, le fumeur de Lucky Strike bien connu de tous, se leva. Sa silhouette se détachait dans la fumée de sa cigarette. Sa voix grave résonna dans le local.
— C’est Valéry Giscard d’Estaing qui a tout bouleversé en France, commença-t-il, son ton accusateur captivant immédiatement l’auditoire. Depuis son élection de l'année dernière, le pays est en ébullition. Nous sommes dans une période de troubles.
Soudain, la porte d’entrée s'ouvrit. Les regards s’y fixèrent comme s’ils attendaient une apparition. Un homme en gabardine grise pénétra dans le bar. C’était le Bordelais, un obsédé du muscle à tout prix. Il était grand, avec une carrure imposante. Tout le monde le regarda, silencieux. Il inspirait la terreur. Il ôta son manteau de pluie et s’assit à côté de Mathieu. Leurs genoux se touchaient.
Il expliqua que des indicateurs lui avaient signalé qu’une rencontre secrète des responsables juifs de haut niveau était organisée à Toulouse. L’objectif était d’aider financièrement l’État d’Israël. C’était le moment idéal pour commettre un attentat. La police croirait à une action des Arabes. Le Bordelais donna des détails complémentaires sur le jour, l’heure et le lieu.
— Voici le plan détaillé de l’emplacement. Il tendit un bout de papier. Je laisse l’initiative à l’équipe de trouver un militant déterminé pour agir en conséquence. La troupe se mit à parler en même temps et il y eut un brouhaha indistinct et indescriptible. Le leader leva les mains pour demander le silence. Je sais que vous voulez tous en découdre. Vous choisirez lequel accomplira la mission. Je dois m’en aller et je n’ai pas à préciser de garder le secret pour cette réunion.
L’ensemble acquiesça et le Bordelais se dressa, prit sa gabardine grise et se dirigea vers la sortie. Tout le groupe soulagé le vit partir.
— Alors qui ? Un volontaire ? demanda Debs. Il alluma une Boule d'Or et regarda Mathieu. Il souhaitait que le garçon se proposât. Le jeune homme le comprit et dit.
— Moi ! Je suis prêt à passer à l’action, pour notre cause à tous.
— Vive la cause ! Vive le Blond !Vive le GUD, répondirent les autres. Et tous trinquèrent.
— Les journaux n’en parleront pas, c’est sûr. Certains prétendent que ce sont les mêmes qui contrôlent les médias, dit le fumeur de Lucky Strike en insistant lourdement sur ces mots.
— Les journalistes sont tous de gauche et sionistes, approuva le chef des Rats Noirs.
Une sourdine suivit ses paroles, et la tension dans la salle monta d’un cran, laissant présager des débats houleux à venir. Ils portèrent rapidement sur le judaïsme et ses méfaits.
— Si Dieu a choisi la Judée pour la naissance de son fils, c’est parce qu’il n’y avait là que des pécheurs. Ainsi, en leur apportant le salut divin, il démontrait à tous sa puissance, ajouta Joseph Bruno.
— Selon saint Paul, la méchanceté ultime est le déicide. Mort aux ennemis du Christ, reprit Maurice Loudet. Alors, le fumeur de Lucky Strike lança une grossièreté que personne n’entendit. Il continua par éructer une blague douteuse qui n’avait rien à voir avec la discussion.
— Connaissez-vous l'histoire des trois muets à l'hôpital ? Il y avait un Allemand, un Français et un Juif. Ils étaient mélangés et personne ne trouvait de solution pour les identifier. Finalement, quelqu'un eut une idée géniale. Il se déguisa en nazi et cria : « Heil Hitler ! » Alors l'Allemand se leva et fit le salut nazi, le Français fit sous lui, le Juif nettoya le sol.
À part lui, personne ne rit à cette blague grossière. Puis la troupe a commencé à se disputer au sujet de l’idéologie national-socialiste, des heures glorieuses du IIIe Reich, de tout ça, de tout ça. Le jeune à la coupe mulet avait glissé une pièce dans le juke-box. Celui-ci se mit à donner les premiers accords de « Love Will Keep Us Together ».
Soudain, Maurice Loudet, se retourna vers lui et eut un éclair de lucidité. Il se leva brusquement, pointant du doigt l'individu.
— C'est un journaliste ! s'écria-t-il, provoquant un silence de plomb dans la salle. Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme qui se sentit démasqué. Il se remit précipitamment les cheveux qu’il avait sur l’épaule droite sur la nuque. Il était prêt au combat. Dans un élan de panique collective, le groupe se rua vers lui, renversant tables et chaises sur leur passage. Le journaliste, agile comme un chat, bondit par-dessus le comptoir, évitant de justesse le poing de Debs qui tentait de le frapper. Dans sa fuite, il glissa sur une flaque d'absinthe, effectuant une pirouette involontaire qui lui permit d'esquiver Joseph Bruno et ses Lucky Strike. Profitant de la confusion, il se faufila entre les jambes de Mathieu qui, déséquilibré, s'effondra sur ses camarades, créant un effet domino comique. Le fugitif atteignit la porte et l'ouvrit d'un coup de pied et disparut dans la rue des Salenques. Tel un rideau s'abattant sur une farce burlesque, il s’évanouit, abandonnant derrière lui un tableau vivant digne d'une pièce de Molière : un tas de fascistes médusés, pareils à des marionnettes désarticulées, enchevêtrés dans un décor chaotique de chaises et de tables renversées. Ils étaient figés dans une posture grotesque, comme si le metteur en scène avait crié « Coupez ! » au moment le plus absurde de la représentation.


Chapitre 29-Entre Espoir et Action-0608240029
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